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Guy de Maupassant

Carta 535
A LA SRA. ÉMILE STRAUS
(original en francés)

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Argel, calle Ledru-Rollin, 5
21 de noviembre de 1888.

      Señora,
      Debe usted juzgarme muy severamente, pues después de haberle prometido escribir enseguida, no lo he hecho todavía. He tenido unas jaquecas, las tengo aún, me he instalado bastante mal y he tratado de trabajar con el deseo constante y el pensamiento de escribirle, he esperado hasta hoy lleno de remordimientos.
      No es que tenga distracciones en abundancia. Tengo sobre todo mal en la cabeza, de modo que paseo mis neuralgias al sol, pues tenemos sol, el auténtico, el calor del sol de África. Camino por las calles árabes hasta las once de la noche sin chaqueta y sin un escalofrío, lo que prueba que las noches son tan calurosas como los días, pero la influencia del Sahara es muy irritante, muy enervante. No se duerme, se estremece, se agita, se tienen los nervios de punta.
      No le diré nada de Chambige1. Aquí, se es duro con él y se tiene razón. Estamos cerca de la casa y las pruebas de convicción no eran apropiadas, la sentimentalidad fracesa y parisina está exaltada con este presunto poeta, poco limpio y que se encuentra en una posición, o mejor dicho en un estado de desnudez parcial tan grotesca que repugna. Los demás detalles son inmundos.
      He cenado ayer con el gobernador general y con el procurador igualmente general, quién ha hablado de este asunto. He tenido una impresión clara y directa que no me ha hecho morirme de ganas, como ha dicho un hombre de espíritu presente, de convertirme en mujer para ser amada como la señora Grille. Sí, se extiende al espíritu a Argel, y eso me ha apenado un poco. Yo esperaba, lejos de París, no estar expuesto a las opiniones. Me había preparado como los insectos. Los unos no molestan a los otros. Si encuentro palabras con el gobernador, una encantadora persona por otra parte, engañaré a las pulgas y las moscas que frecuento como un buen musulmán. Voy a revisar mi novela en estos muy apacibles refugios de sacerdotes, donde ningún ruido penetra nunca, donde puedo permanecer dos horas al lado de los árabes también prosternados, sin despertar la menor curiosidad o la menor hostilidad de esos impasibles admirables. Las noches sobre todo son deliciosas El aire acaricia, envuelve, exalta. No conozco nada más dulce que sentir rozar en las mejillas esos pequeños soplidos a veces calientes, a veces frescos, llenos de olores ligeros, un poco irritantes y dulces. Cuando voy a la ciudad árabe, en ese mágico laberinto de casas de las Mil y una Noches, los olores son menos suaves, por ejemplo, y más humanos que campestres, pero, si la nariz se esfuerza un poco, el ojo se embriaga locamente viendo esas formas blancas o rojas y esos hombres con las piernas desnudas y esas mujeres envueltas de muselina blanca pasar de una puerta a la otra sin ruido, como unos personajes de cuento. La sociedad de Argel parece como la de una ciudad de provincia. Tiene sin embargo pretensiones de ser una sociedad de capital. Allí se está alegre sin rodeos, sin finuras. Se encuentra aquí, por ejemplo, una cosa extraña, una simplicidad extrema, franca, sincera, sin ninguna pose. 
      A cambio de estos monótonos relatos que le envío de este mundo, de este bárbaro continente, ¿quiere usted, Señora, decirme alguna vez lo que piensa y lo que hacen nuestros amigos?
      Le estaré muy agradecido y le ruego crea en mi profunda devoción y exrpresar mi amistad a su marido.

      GUY DE MAUPASSANT.

1 Alusión a un célebre proceso judicial. El 25 de enero de 1888, Henri Chambige, joven de 23 años, mató a su amante, Madeleine Grille, madre de familia de 30 años de edad; él intentó a continuación suicidarse, pero no logró más que herirse. El 11 de noviembre de 1888, la corte de Constantine condenó a Chambige a siete años de trabajos forzados. Este asunto inspiró a Paul Bourget su novela Le Disciple.

Traducción de José M. Ramos González para http://www.iesxunqueira1.com/maupassant


A Mme ÉMILE STRAUS

Alger, 5, rue Ledru-Rollin,
21 novembre 1888.

      Madame,
      Vous devez me juger bien sévèrement, car, après vous avoir promis de vous écrire tout de suite, je ne l'ai pas encore fait. J'ai eu des migraines, j'en ai encore, je me suis installé, fort mal, j'ai essayé de travailler avec le désir constant et la pensée sans cesse revenue de vous écrire, j'ai attendu, plein de remords, jusqu'à aujourd'hui.
      Ce n'est pourtant pas que j'aie des distractions à foison. J'ai surtout mal à la tête, de sorte que je promène mes névralgies au soleil, car nous avons du soleil, du vrai, du chaud, du premier tombé, du soleil d'Afrique. Je rôde par les rues arabes jusqu'à onze heures du soir sans pardessus et sans un frisson, ce qui prouve que les nuits sont aussi chaudes que les jours, mais l'influence saharienne est très irritante, très énervante. On ne dort pas, on tressaille, on s'agite, on a mal aux nerfs enfin.
      Je ne vous dirai rien de Chambige1. Ici, on est dur pour lui, on a raison. Nous sommes près de la maison et les pièces à conviction n'étaient pas propres, la sentimentalité française et parisienne s'est exaltée sur ce prétendu poète, peu lavé et trouvé dans une posture ou plutôt dans un état de dévêtement partiel aussi grotesque que répugnant. D'autres détails sont immondes.
      J'ai dîné hier chez le gouverneur général avec le procureur également général, qui a parlé dans cette affaire. J'ai donc eu une impression fraîche et directe qui ne m'a pas fait griller d'envie, comme l'a dit un homme d'esprit présent, de devenir femme pour être aimé comme Mme Grille. Oui, on fait de l'esprit à Alger, et cela m'a un peu chagriné. J'espérais, hors de Paris, n'être plus exposé aux mots. Je ne m'étais préparé qu'aux insectes. Les uns n'empêchent pas les autres. Si je trouve les mots chez le gouverneur, un charmant homme d'ailleurs, j'attrape les puces dans les mosquées que je fréquente comme un bon musulman. Je vais rêvasser à mon roman dans ces très paisibles asiles de prières, où aucun bruit ne pénètre jamais, où je reste des heures à côté des Arabes assis ou prosternés, sans éveiller la moindre curiosité ou la moindre hostilité de ces admirables impassibles. Les nuits surtout sont délicieuses. L'air caresse, enveloppe, exalte. Je ne sais rien de plus doux que de sentir passer sur les joues de ces petits souffles un peu chauds, un peu frais, pleins d'odeurs légères, un peu irritantes et douces. Quand je vais dans la ville arabe, dans ce féerique labyrinthe de maisons des Mille et une Nuits, les odeurs sont moins douces, par exemple, et plus humaines que champêtres, mais, si le nez en souffre un peu, l'œil se grise follement à voir ces formes blanches ou rouges et ces hommes aux jambes nues et ces femmes enveloppées de mousseline blanche passer d'une porte à l'autre sans bruit, comme des personnages de conte qui vivraient. La société d'Alger semble comme celle d'une ville de province. Elle a cependant des prétentions à être une société de capitale. On y est gai sans détours, sans finesses, sans dessous. On trouve ici, par exemple, une chose rare, une simplicité extrême, franche, sincère, sans pose aucune.
      En échange des fort monotones récits que je vous enverrai de ce monde, de ce continent barbare, voulez-vous, Madame, me dire quelquefois ce que vous pensez et ce que font nos amis ?
      Je vous en serai bien reconnaissant et je vous prie de croire à mon profond dévouement et d'exprimer mon amitié à votre mari.

     GUY DE MAUPASSANT

      1 Allusion à une célèbre affaire judiciaire. Le 25 janvier 1888, Henri Chambige, jeune homme de 23 ans, tua sa maîtresse, Madeleine Grille, mère de famille âgée de 30 ans ; il tenta ensuite de se suicider, mais ne réussit qu'à se blesser. Le 11 novembre 1888, la cour de Constantine condamna Chambige à sept ans de travaux forcés. Cette affaire inspira à Paul Bourget son roman Le Disciple.

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