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Guy de Maupassant

Carta 571 
A JEAN BOURDEAU 
(Original en francés)

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calle de Montchanin
[Septiembre de 1889]

      Mi querido amigo,
      Parto mañana para un viaje en mar - Isla de Elba, Córcega, y costa italiana. Le respondo entonces presuroso. Usted me pregunta si conozco algún remedio para el aburrimiento de vivir. - No - Sí; sé uno abominable - La broma - Yo, hoy, tomo todo a broma, salvo ciertas emociones profesionales. Tengo a veces cortas, extrañas y violentas revelaciones de la belleza, de una belleza desconocido, inabordable, apenas revelada por ciertas ideas, ciertas palabras, ciertos espectáculos, ciertas colaboraciones del mundo en algunos segundos que hacen de mí una máquina de vibrar, de sentir y de gozar, deliciosamente estremecedora. No puedo comunicar eso, ni expresarlo, ni escribirlo, ni decirlo. Lo conservo. No tengo otra razón de ser, de continuar siendo, y en escuchar y en despachar, y en repetir las sandeces de las que se compone la existencia. En cuanto a las ideas, que son para muchos hombres, para los mejores, la razón de ser, encuentro que los más complicados son más simples haciendo desesperar a la inteligencia humana y que los más profundos, cuando han reflexionado cinco minutos, son lamentables. Es necesario tener un buen sistema nervioso, muy sensible, una epidermis muy delicada, unos ojos excelentes para ver, y un  buen espíritu para saborear y despreciar. Y burlarse enseguida de todo lo que se ve, de todo lo que es respetado, considerado, estimado, admirado, comunmente, burlándose de un modo natural y constante como se digiere lo que se come. Vea, es decir, evalue y tome la vida del mismo modo que los alimentos de toda naturaleza que se convierten en basura. Todo no es más que Basura cuando se ha comprendido y digerido. Pero todo puede parecer bueno cuando se es goloso. Cuando se aporta a esta degustación un espíritu curioso, los primeros bocados son a menudo delicados, los primeros besos son en ocasiones dulces. Cuando están pasados,  búrlese.
     He expresado muy mal todo esto. Habría podido plantearlo más claramente, con más precisión, con el tiempo del que no dispongo.
Si usted no es un crédulo, o si no lo ha sido, busque los placeres materiales y sensuales y desprecie. O bien llore sobre todo y sobre usted mismo. Es lo que yo hago a menudo. 
      He abandonado Triel donde nuestros amigos han venido a cenar y a repetir lo que usted les ha oído decir en París a menudo. Se han reido como otras veces. Nuestras bellas amigas están tan dispuestas como siempre, usando el mismo modo de hacer girar las mismas cabezas. Se comen los mismos platos a la misma hora generalmente. Se acuestan también a la misma hora. Pienso  que se hacen siempre las mismas cosas. Es al menos lo que aquí me llega. Confieso que experimento siempre cierto placer en recibir a personas nuevas. Pero en tanto que no cambie todo este hielo, la vida será monótona y aburrida. - Y no cambiará todo esto. 
      Después de tres páginas de filosofía, si se quiere, le deseo, mi querido amigo, un poco menos de desaliento, y crea en mi más sincero afecto.

GUY DE MAUPASSANT

Traducción de José M. Ramos González para http://www.iesxunqueira1.com/maupassant


A JEAN BOURDEAU 

 10, rue de Montchanin
[Septembre 1889.]

      Mon cher ami,
      Je pars demain pour un voyage en mer - Ile d'Elbe, Corse, et côte italienne. Je vous réponds donc tout de suite. Vous me demandez si je sais un remède à l'ennui de vivre. - Non - Si ; j'en sais un abominable - La blague - Moi, aujourd'hui, je prends tout à la blague, sauf certaines émotions professionnelles. J'ai parfois de courtes et bizarres et violentes révélations de la beauté, d'une beauté inconnue, insaisissable, à peine révélée par certaines idées, certains mots, certains spectacles, certaines colorations du monde à certaines secondes qui font de moi une machine à vibrer, à sentir et à jouir, délicieusement frémissante. Je ne peux pas communiquer cela, ni l'exprimer, ni l'écrire, ni le dire. Je le garde. Je n'ai pas d'autre raison d'être, de continuer à être, et à écouter, et à débiter, et à répéter les inepties dont se compose l'existence. Quant aux idées, qui sont pour beaucoup d'hommes, pour les meilleurs, la raison d'être, je trouve que les plus compliquées sont simples à faire désespérer de l'intelligence humaine, que les plus profondes quand on y a réfléchi cinq minutes, sont pitoyables. Il faut avoir un bon système nerveux, très sensible, un épiderme très délicat, des yeux excellents pour voir, et un bon esprit pour savourer et mépriser. Et se moquer ensuite de tout ce qu'on voit, de tout ce qui est respecté, considéré, estimé, admiré, communément, s'en moquer d'une façon naturelle et constante comme on digère ce qu'on mange. Voyez, c'est-à-dire, avalez et rendez la vie à la façon des aliments de toute nature qui deviennent la même ordure. Tout n'est que de l'Ordure quand on a compris et digéré. Mais tout peu paraître bon quand on est gourmand. Lorsqu'on apporte à cette dégustation un esprit curieux, les premières bouchées sont souvent fines, les premiers baisers sont parfois doux. Lorsque c'est passé - blaguez.
      J'ai très mal exprimé cela. J'aurais pu le rendre plus clair, plus précis, avec du temps que je n'ai pas.
Si vous n'êtes plus un gobeur, ou si vous ne l'avez pas été, soyez un jouisseur et un contempteur. Ou bien alors pleurez sur tout et sur vous-même. C'est ce que je fais souvent.
      J'ai quitté Triel où nos amis sont venus dîner et répéter ce que vous les avez souvent entendus dire à Paris. On en a ri comme autrefois. Nos belles amies sont toujours parées de la même manière, dont elles usent de la même façon pour faire tourner les mêmes têtes. On mange les mêmes plats à la même heure généralement. On se couche aussi à la même heure. Je pense encore qu'on fait ensuite les mêmes choses. C'est du moins ce qui m'arrive. Pourvu que ce soit avec des personnes nouvelles j'avoue que j'y prends toujours un certain plaisir. Tant qu'on n'aura point changé tout gela, la vie sera monotone et ennuyeuse. - Et on ne changera point tout cela. Prenez-en votre parti.
      Après ces trois pages de philosophie - si l'on veut - je vous souhaite, mon cher ami, un peu moins de découragement, et croyez à ma très sincère affection.

      GUY DE MAUPASSANT

Puesto en formato html por Thierry Selva:  http://maupassant.free.fr/