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Guy de Maupassant

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A JEANNINE ALEXANDRE DUMAS
(original en francés)

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Cannes [1889]

      Señorita,
      Estoy muy perplejo. Tengo miedo de haberle dado un mal consejo.
      En principio, salvo dos o tres excepciones, ninguna mujer puede vivir de su pluma.
      Si esa de la que usted me habla es rica y piensa en escribir por amor a las letras, yo respondería: sí, sí, sí, que escriba. Pero de momento que no experimente el deseo de la producción para hacer cocer su sopa, sino yo respondo: no, como respondería: no, a no importa quién en el mismo caso.
      Por el momento, la idea de ganar dinero, incluso una economía doméstica, se mezcla con la fiebre secreta que hace germinar las ideas, lo que hace que esta fiebre desaparezca. Entonces que esta mujer haga no importa qué, pero no literatura. No admito ninguna transación sobre este punto. Cuando se escribe por otro motivo que no sea la escritura, se puede estar dotado para todo, pero no se lo está ciertamente para las letras.
      Cuando una obra ha sido hecha sin ninguna preocupación excepto la propia obra, que la venda cara, muy cara, que no se deje robar por los intermediarios, nada más normal y más natural; pero la literatura considerada como un medio de divorcio me quita todo escrúpulo. Pasarán unos años antes de que est6a joven venda utilmente su prosa. Y que más miserable vida que la de una mujer de letras cuando no sea ilustre al primer intento, como la Señora Sand. Conozco a muchas. Las he visto perseguir a los editores, a los directores de periódicos, a los colegas.
      Mujer, preferiría todo a esta existencia. Cuando se ama una cosa, no se pide si debe hacerse. Se la hace, y entonces, casi siempre se la hace bien. Esta joven es verdaderamente inteligente, dotada hasta cierto punto, aunque no tenga ninguna noción de lo que se llama estilo. Su espíritu es ligero y tomará quizás bastante rápido una nota especial, de la que podría hacer un éxito. Pero desde el momento en que se trata de la pitanza, del divorcio, del marido, de todo un drama doméstico del que se busca el desenlace en los diez céntimos que se le darán por línea en los periódicos - cuando se los den - que ella haga no importa que, pero no eso.
      Discúlpeme, Señorita, si le escribo mi opinión tan claramente. Puesto que usted me ha expuesto la situación, yo respondo sobre la misma situación.
      Añada, se lo ruego, el homenaje de mi muy respetuosa y sincera devoción.

      GUY DE MAUPASSANT1

      1 Publicada por Maurice d'Hartoy : Guy de Maupassant inconnu, 1957.

Traducción de José M. Ramos González para http://www.iesxunqueira1.com/maupassant


A JEANNINE ALEXANDRE DUMAS

    Cannes [1889].

Mademoiselle,
Je suis très perplexe. J'ai peur de donner un mauvais conseil.
En principe, sauf deux ou trois exceptions, aucune femme ne peut vivre de sa plume.
Si celle dont vous me parlez était riche et pensait à écrire par amour des lettres, je répondrais : oui, oui, oui, qu'elle écrive. Mais du moment qu'elle n'éprouve le désir de la production que pour faire cuire sa soupe, je réponds : non, comme je répondrais : non, à n'importe qui dans le même cas.
Du moment que l'idée d'argent à gagner, même d'économie domestique, se mêle à la fièvre secrète qui fait germer les idées, c'est que cette fièvre n'existe pas. Alors que cette femme fasse n'importe quoi, mais pas de littérature. Je n'admets aucune transaction sur ce point. Quand on écrit pour un autre motif que l'écriture, on peut être doué pour tout, mais on ne l'est certainement pas pour les lettres.
Quand une œuvre a été faite sans aucun souci que celui de cette œuvre, qu'on la vende cher, très cher, qu'on ne se laisse pas voler par les intermédiaires, rien de plus normal et de plus naturel ; mais la littérature considérée comme un moyen de divorce m'ôte tout scrupule. Il se passera des années avant que cette jeune femme vende utilement sa prose. Et quelle misérable vie que celle d'une femme de lettres quand elle ne devient pas illustre du premier coup, comme Madame Sand. J'en connais beaucoup. Je les ai vues poursuivre les éditeurs, les directeurs de journaux, les confrères.
Femme, je préférerais tout à cette existence-là. Quand on aime une chose, on ne demande pas si on doit la faire. On la fait, et alors, presque toujours on la fait bien. Cette jeune femme est certainement intelligente, douée jusqu'à un certain point, bien qu'elle n'ait, de ce qu'on appelle le style, aucune notion. Son esprit est souple et prendrait peut-être assez vite une note spéciale, dont elle pourrait faire une note à succès. Mais dès qu'il s'agit de popote, de divorce, de mari, de tout un drame domestique dont on cherche le dénouement dans les dix centimes qu'on lui donnera par ligne dans les journaux - quand on les lui donnera - qu'elle fasse n'importe quoi, mais pas ça.
Excusez-moi, Mademoiselle, si je vous écris si nettement mon opinion. Puisque vous m'avez exposé la situation, je réponds sur la situation même.
Agréez, je vous prie, l'hommage de mon très respectueux et très sincère dévouement.

GUY DE MAUPASSANT1

1 Publiée par Maurice d'Hartoy : Guy de Maupassant inconnu, 1957.

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