Laure de Maupassant

Carta: 804  
DE LAURE DE MAUPASSANT1
A GUSTAVE FLAUBERT
(original en francés)

Gustave Flaubert Carta Siguiente: 805

 

Étretat, 6 de diciembre de 1862

     Te estoy muy agradecida, mi querido Gustave, por haberme enviado Salammbô, y un doble placer me embarga desde que he abierto el libro. Ahí veo la demostración del recuerdo de un viejo amigo, cuyo afecto y simpatía me son siempre tan queridos; puesto que la obra, apenas aparecida, ya era célebre, yo ya tenía la seguridad de pasar unas horas encantadoras en medio de esta antigua Cartago, tan bien resucitada por tu talento. Mi primer pensamiento tendría que ser de agradecimiento; no obstante tus páginas me atraían y tenía que leerlas e incluso volverlas a leer una vez más antes de tomar la pluma. Aquí, en el retiro de esta casa, llevo una vida muy activa: me ocupo mucho de la educación de mis hijos, de la que soy de momento la única responsable; luego de dar los largos paseos tan necesarios para su salud; en este momento también la presencia de mi madre; todo esto me sobrecarga, y mis ratos de libertad se hacen cada vez menos frecuentes. En fin, he robado tiempo un poco de aquí, un poco de allá, y he podido conocer esa novela, de la que en París se ha hablado tanto y tan alto que todos los ecos de nuestros acantilados la han propagado. Antes de darte mi humilde opinión de provinciana, antes de aportar mi granito de arena, me permitirás decirte que tus éxitos de hoy, tanto como los de ayer, me transportan siempre al pasado, donde busco el recuerdo de nuestro pobre Alfred, que tú no has olvidado jamás. ¿No te parece, como a mí, que él tiene algo que ver en todo esto, que le corresponde una parte, que sería el primero en congratularse de tus éxitos? Puedo contarte todo esto y estoy segura que estarás de acuerdo en que él permanece en nuestros queridos recuerdos y que siempre tendrá en ellos el lugar más privilegiado en vez de desvanecerse con el tiempo.
      A mi anciana madre y a mi, nos complace evocar el pasado en nuestras largas veladas de otoño, y las horas van pasando lánguidamente, pero no están desprovistas de cierto encanto. Durante algunos días Salammbô no nos ha permitido la distracción de conversar; tras finalizar la cena, nos juntamos alrededor del fuego, tomo el libro y comienzo su lectura. Mi hijo Guy es el más absorto; tus descripciones, tan graciosas a menudo, tan terribles otras veces, le procuran un brillo a sus ojos negros, y creo ciertamente que el fragor de las batallas y los bramidos de los elefantes resuenan en sus oídos. No es necesario que te diga que comencé a leer la obra sola. La leo ahora para los demás y para mí también, y es probable que la vuelva a leer de nuevo otra vez más. Tu heroína es, a mi parecer, una creación de sorprendente originalidad y creo que la has modelado con rayos de luna. En torno a esta mujer, semi-diosa, e impregnada de un misterioso perfume, se desarrolla una acción potente, grandiosa, terrible. Se asiste a las escenas que describes, alcanzándolas con los dedos, y mientras por fin se llega a la caída de Mâtho, cuando su corazón aún palpitante es ofrendado al sol, hay que cerrar los ojos bajo el peso de un indecible espanto. Creo que es Ribera, quién te ha prestado sus pinceles y harás bien en conservarlos, pues a nadie mejor que a tí podrían servirle. Algunos extranjeros, que todavía permanecen aquí, llaman a mi puerta para que les preste Salammbô; todos quieren leerlo; no he dejado aún el libro a nadie... para no provocar celos.
      Tu querida madre ha sabido ya, por la mía, una serie de chismorreos que me han afectado; pero a todos vosotros, a mis buenos y viejos amigos de siempre quiero decirles lo siguiente: Sufro mucho, lo sabéis; sin embargo soy de esas que saben tomar una resolución, y espero que me conozcáis, que me estiméis los suficiente para que no haga falta que os diga que esta resolución es irrevocable2, que sabré mantener mi vida con dignidad. Me encuentro muy bien en mi pequeño pueblo, en mi modesta casa, y esta tranquilidad presente constituye una especie de bálsamo de felicidad. Mis hijos crecen y se desarrollan; el mayor es casi un hombre por su inteligencia, y me veo obligada a trabajar con él, yo, que no soy más que una ignorante. Me sumerjo en el estudio con ardor; me divierte y me hace bien. Mi residencia se ha engalanado este año; he hecho pintar la casa totalmente de blanco, y tengo ahora un gran jardín que da justo a la carretera que va a Fécamp. Espero que la señora Flaubert no tenga razón, el verano próximo, privándonos de su visita; mi madre cuenta con vosotros y os ruega que no nos privéis de la alegría que nos proporciona vuestra presencia.
      Con un gran apretón de manos me despido, mi querido Gustave, manifestándote una nueva y sincera confirmación de mi cariño para ti y los tuyos.

LE POITTEVIN DE MAUPASSANT

      Abrazos de mis hijos para la amable Caroline, y saludos de mi madre para los tres.

1 Laure Le Poittevin, nacida el 28 de septiembre de 1821, se casa en 1846 con Gustave de Maupassant, con el que tiene dos hijos, Guy y Hervé. Tras algunos años de vida coyugal, se separa de su marido y muere en Niza el 8 de diciembre de 1903.
2 Se refiere, sin duda, al hecho de su separación matrimonial (N. del T.)

Traducción de José M. Ramos González para http://www.iesxunqueira1.com/maupassant


DE LAURE DE MAUPASSANT1
A GUSTAVE FLAUBERT

Étretat, le 6 décembre 1862.

      Je te sais bien bon gré, mon cher Gustave, de m'avoir envoyé Salammbô, et c'est sous l'impression d'un double plaisir que j'ai tout d'abord ouvert ce livre. J'y voyais la preuve du souvenir d'un vieux camarade, dont l'affection et les sympathies me sont toujours chères ; puis l'œuvre à peine parue était déjà célèbre, et j'avais la certitude de passer des heures charmantes au milieu de cette antique Carthage si bien ressuscitée par tes soins. Ma première pensée aurait dû être de te remercier ; mais tes pages m'attiraient et il m'a fallu les lire et encore les relire avant de prendre la plume. Je mène ici, au fond de mon ermitage, une vie fort active : l'éducation de mes fils, dont je suis à l'heure qu'il est seule responsable, m'occupe beaucoup ; puis les longues promenades nécessaires à leur santé ; puis en ce moment la présence de ma mère ; tout cela me surcharge, et mes heures de liberté se font de plus en plus rares. Enfin, j'ai rogné un peu d'un côté, un peu de l'autre, et j'ai pu faire connaissance avec ce roman, dont Paris a déjà parlé tant et si haut que tous les échos de nos falaises en ont retenti. Avant de te donner mon humble avis de provinciale, avant de t'apporter mon pauvre petit grain d'encens, tu me laisseras te dire que tes succès d'aujourd'hui, aussi bien que tes succès d'hier, me reportent toujours dans le passé, où je vais chercher le souvenir de notre pauvre Alfred, que, toi non plus, tu n'as point oublié. Est-ce qu'il ne te semble pas, comme à moi, qu'il lui revient quelque chose de tout cela, qu'il en a sa part, celui qui le premier a si bien applaudi à tes succès de jeune homme ? - Je puis bien te dire ces choses, et tu trouveras aussi, j'en suis sûre, qu'il est de chères mémoires qui se font toujours une place plus grande, au lieu de s'en aller avec le temps. Ma bonne vieille mère et moi, nous aimons à évoquer tout le passé, dans nos longues veillées d'automne, et les heures s'en vont d'une façon un peu mélancolique, mais qui n'est point dépourvue d'un certain charme. Depuis quelques jours Salammbô ne nous a pas laissé le loisir de causer ; aussitôt le dîner fini, nous nous groupons autour du feu, je prends le livre et je commence la lecture. Mon fils Guy n'est pas le moins attentif ; tes descriptions, si gracieuses souvent, si terribles parfois, tirent des éclairs de ses yeux noirs, et je crois vraiment que le bruit des batailles et les hurlements des éléphants retentissent à ses oreilles. Il va sans dire que j'ai commencé par lire seule l'œuvre tout entière, je relis pour les autres et aussi pour moi, et il est tout probable que je recommencerai plus d'une fois encore. Ton héroïne est, à mon avis, une création d'une originalité saisissante, et je crois que tu l'as pétrie avec les rayons de la lune. Autour de cette femme, quasi-déesse, et tout imprégnée d'un mystérieux parfum, se déroule l'action puissante, grandiose, terrible. On assiste aux scènes que tu décris, on les touche du doigt, et lorsqu'à la fin on arrive à voir tomber Mâtho, quand ce cœur tout vivant est offert au soleil, on ferme les yeux sous le poids d'une indicible épouvante. C'est Ribéra, je crois, qui t'a prêté ses pinceaux, et tu feras bien de les conserver, car nul ne saurait s'en servir comme toi. Les quelques étrangers qui sont encore ici assiègent ma porte pour que je leur prête Salammbô ; tous veulent lire Salammbô ; je n'ai encore confié le livre à personne... pour ne pas faire de jaloux.
   Ta chère mère a déjà appris, par la mienne, une partie des misères qui ont pesé sur moi ; mais à nous tous, mes vieux et bons amis d'autrefois, je veux dire encore quelques mots. J'ai beaucoup souffert, vous l'aven compris ; cependant je suis de celles qui savent prendre une résolution, et j'espère que vous me connaissez, que vous m'estimes assez, pour qu'il me soit inutile de vous dire que cette résolution est à tout jamais irrévocable, et que je saurai conserver la dignité de ma vie. Je me trouve très bien dans mon joli village, dans ma modeste maison, et cette tranquillité présente constitue une espèce de bonheur. Mes enfants grandissent et se développent ; l'aîné est presque un homme par l'intelligence, et je suis obligée de travailler avec lui, moi qui ne suis plus qu'une ignorante. Je me remets à l'étude avec ardeur ; cela m'amuse et me fait du bien. Ma demeure s'est fort embellie cette année ; j'ai fait peindre ma maison tout en blanc, et j'ai maintenant un grand jardin qui va jusqu'à la route de Fécamp. J'espère bien que Madame Flaubert ne trouvera pas de raison, l'été prochain, pour nous priver de sa visite ; ma mère compte sur vous tous, et vous ne voudrez point nous priver de la joie que nous apportera votre présence.
C'est avec une bonne poignée de main que je te dis adieu, mon cher Gustave, et j'y joins une nouvelle et vive assurance de mon attachement pour toi et les tiens.

LE POITTEVIN DE MAUPASSANT

Embrassades de mes fils pour la gentille Caroline, et amitiés de ma mère pour vous trois2.

1 Laure Le Poittevin, née le 28 septembre 1821, épousa en 1846 Gustave de Maupassant, dont elle eut deux fils, Guy et Hervé. Après quelques années de vie conjugale, elle se sépara de son mari et mourut à Nice le 8 décembre 1903.
2 Cf. réponse de Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome V, 1929, N° 749).

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