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Guy de Maupassant

Carta 736
A LA SRTA. L. BOGDANOFF  
(original en francés)

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Cannes, Chalet del Isère
[Sello: 10 noviembre de 1891.]

      Señorita,
      Esta carta es la última que usted recibirá de mí. Veo que un mundo nos separa y que usted desconoce en absoluto lo que es un hombre ocupado únicamente de su oficio y de la ciencia moderna y desdeñoso totalmente hacia todas las pamplinas de la vida.
      El interrogatorio de álbum que usted me envía ha sido para mí una revelación asombrosa.
      Mantengo mi vida tan secreta que nadie la conoce. Soy un desengañado, un solitario y un salvaje. Trabajo, eso es todo, y vivo de un modo tan errante para estar aislado que, durante meses enteros, solo mi madre sabe donde estoy. Nadie sabe nada de mí. Paso en París por ser un enigma, por una criatura ignorada, relacionada únicamente con algunos sabios, pues adoro la ciencia, y con algunos artistas a los que admiro, amigo de algunas mujeres, las más inteligentes quizás que haya en el mundo, pero con las mismas ideas que yo, es decir viviendo en una especie de desdén hacia la vida y el mundo, que nos lo hace mirar con curiosidad, permaneciendo ajeno a todo lo que se ama.
      He roto con todos los hombres de letras que me atisban por sus novelas. No permito nunca a un periodista entrar en mi casa y he prohibido que se escriba sobre mí. Todos los artículos publicados son falsos. Solamente permito hablar de mis libros.
      He rechazado dos veces la Legión de honor y, el año anterior, la Academia1, para ser libre de toda atadura y de todo reconocimiento, para no tener en el mundo nada más que el trabajo. He respondido a la Señorita Barskishef [sic] en efecto, pero no he querido verla nunca. Ella me ha escrito que lo conseguiría; marché para África respondiéndole que ya tenía bastante de esa correspondencia. Ella murió después sin que la hubiese conocido. Su madre tiene todavía una docena de cartas dirigidas a mí que no me ha enviado. No he querido nunca tomar conocimiento, a pesar de las solicitudes de las que he estado perseguido.
     Vivo casi siempre sobre mi yate para no tener comunicación con nadie. No voy a Paris más que para mirar vivir a los demás y documentarme.
      Si le he enviado mi fotografía, es que me han acribillado con cartas solicitándomela y he acabado por permitir su venta. En cuanto a mostrarme, no. Voy a desaparecer de nuevo seis meses para estar alejado de todo el mundo.
     Vea usted que nuestros caracteres no se parecen demasiado. Pongo mis homenajes a sus pies, Señorita.

     GUY DE MAUPASSANT

      1 En 1891, el periodista Jules Huret, habiendo entrevistado a Maupassant, recibió una acogida que confirma esta carta: «No me hable de literatura, dijo el escritor, tengo violentas neuralgias, marcho pasado mañana para Niza... la prueba de que yo no le miento, es que han venido, no hace mucho tiempo, a ofrecerme la Academia... me han avalado veintiocho apellidos seguros, he rechazado, y las cruces, y todo eso, no me interesa ciertamente... no hablemos mas.» (Cf. J. Huret. Enquête sur l'Evolution littéraire, Paris, 1891)

Traducción de José M. Ramos González para http://www.iesxunqueira1.com/maupassant


A Mlle. L. BOGDANOFF

    Cannes, Chalet de l'Isère.
[Cachet : 10 nov. 1891.]

     Mademoiselle,
     Cette lettre est la dernière que vous recevrez de moi. Je vois qu'un monde nous sépare et que vous ignorez absolument ce qu'est un homme uniquement occupé de son métier et de la science moderne et dédaigneux absolument de toutes les balivernes de la vie.
     L'interrogatoire d'album que vous m'envoyez a été pour moi une révélation stupéfiante.
     Je tiens ma vie tellement secrète que personne ne la connaît. Je suis un désabusé, un solitaire et un sauvage. Je travaille, voilà tout, et je vis d'une façon tellement errante pour être isolé, que pendant des mois entiers, ma mère seule sait où je suis. Personne ne sait rien de moi. Je passe à Paris pour une énigme, pour une créature ignorée, liée seulement avec quelques savants, car j'adore la science, et avec quelques artistes, que j'admire, ami de quelques femmes les plus intelligentes peut-être qui soient au monde, mais dans les mêmes idées que moi, c'est-à-dire vivant dans une espèce de dédain de la vie et du monde, qui nous les fait regarder avec curiosité, en restant étranger à tout ce qu'on aime.
      J'ai rompu avec tous les hommes de lettres qui vous épient pour leurs romans. Je ne laisse jamais un journaliste entrer chez moi et j'ai interdit qu'on écrivît rien sur moi. Tous les articles publiés sont faux. Je laisse seulement parler de mes livres.
     J'ai refusé deux fois la Légion d'honneur et, l'an dernier, l'Académie1, pour être libre de toute attache et de toute reconnaissance, pour ne tenir à rien au monde qu'au travail. J'ai répondu à Mademoiselle Barskishef [sic] en effet, mais je n'ai jamais voulu la voir. Elle m'a écrit qu'elle y parviendrait ; je suis parti pour l'Afrique en lui répondant que j'en avais assez de cette correspondance. Elle est morte depuis sans que je l'aie connue. Sa mère a encore une dizaine de lettres d'elle à moi qu'elle ne m'a pas envoyées. Je n'ai jamais voulu en prendre connaissance, malgré les sollicitations dont j'ai été poursuivi.
     Je vis presque toujours sur mon yacht pour n'avoir de communication avec personne. Je ne vais à Paris que pour regarder vivre les autres et y prendre des documents.
     Si je vous ai envoyé ma photographie, c'est qu'on m'a tellement harcelé de lettres pour me la demander, que j'ai fini par la laisser vendre. Quant à me montrer, non. Je vais de nouveau disparaître six mois pour être délivré de tout le monde.
      Vous voyez que nos caractères ne se ressemblent guère. Je mets mes hommages à vos pieds, Mademoiselle.

      GUY DE MAUPASSANT

1 En 1891, le journaliste Jules Huret, ayant interviewé Maupassant, reçut un accueil qui confirme cette lettre : « Ne me parlez pas de littérature, dit l'écrivain, j'ai des névralgies violentes, je pars après-demain pour Nice... la preuve que je ne vous mens pas, c'est qu'on est venu, il n'y a pas si longtemps, m'offrir l'Académie... on m'a apporté vingt-huit noms sûrs, j'ai refusé, et les croix, et tout cela, non vraiment je ne m'intéresse pas... n'en parlons plus. » (Cf. J. Huret. Enquête sur l'Évolution littéraire, Paris, 1891.)

Puesto en formato html por Thierry Selva:  http://maupassant.free.fr/